Rebecca Clopath a de multiples casquettes: quand elle ne porte pas celle de cheffe cuisinière, autrement dit sa toque, cette Grisonne d’origine enfile aussi celle d’agricultrice, d’intervenante et d’entrepreneuse. Dans sa ferme biologique, elle applique un concept global combinant pleine conscience, décélération et attachement à la nature.
C’est en haute montagne, à plus de 1600 mètres d’altitude, que Rebecca Clopath nous livre un aperçu de sa vie et de son travail dans la ferme biologique de Taratsch. Elle nous livre comment elle en est venue à la cuisine, comment elle mêle la philosophie à la gastronomie et ce qui la préoccupe sur le plan pratique en tant qu’entrepreneuse.
J’étais persuadée que la meilleure chose au monde était de toujours pouvoir bien manger.
Comment en êtes-vous venue à cuisiner? Cela a-t-il toujours été votre passion et le métier de vos rêves?
La cuisine m’a préoccupé dès mon plus jeune âge: ma mère cuisinait très bien, c’était toujours délicieux et j’adorais manger. Je crois que c’est là que ma passion pour la cuisine est née. J’étais persuadée que la meilleure chose au monde était de toujours pouvoir bien manger. Quand j’ai quitté la maison familiale, je me suis dit que ce serait bien d’apprendre à cuisiner moi-même.
En 2016, vous êtes revenue là où vous avez grandi, à Lohn, un village de montagne dans les Grisons. Pourquoi cette décision?
Ce n’est pas le mal du pays qui m’a ramenée à la maison. C’est plutôt l’envie de créer quelque chose qui ait du sens à la fois pour moi et pour les autres. C’est ce que j’ai pu faire depuis, selon mon concept. Je voulais réaliser quelque chose de global. Avec la ferme et la gastronomie, nous avons créé un bel espace d’activités.
Votre cuisine est exclusivement régionale et de saison, et vous misez sur des ingrédients et des saveurs que l’on trouve directement chez vous. Pour quelle raison, et qu’est-ce qui vous a donné cette idée?
Plusieurs choses ont inspiré ma cuisine locale. L’endroit d’où je viens et où j’ai décidé de travailler en est certainement une. Je suis aussi curieuse et cherche toujours à connaître l’origine des choses. Enfin, il y a la liberté de pouvoir me rendre dans la prairie d’à côté et de rassembler ce dont j’ai besoin en cuisine. Je suis très attachée à cette liberté.
A la ferme, nous cultivons tout ensemble. Les légumes sont plantés et récoltés ici. Il y a tellement de produits uniques dans le milieu alpin. Je ne tiens pas tant à éliminer les kilomètres de transport des denrées alimentaires, mais plutôt à valoriser cet habitat et à promouvoir la conscience pour la région dans laquelle nous vivons.
Rebecca Clopath (36 ans) est cuisinière naturelle, intervenante, entrepreneuse et agricultrice biologique. Dans la ferme biologique Biohof Taratsch, elle cuisine selon une philosophie unique: elle utilise exclusivement des ingrédients locaux (dont 85% proviennent de son exploitation) et renonce aux produits exotiques comme les bananes et le chocolat. A travers les sensations gustatives qu’elle apporte, elle souhaite retranscrire le goût des Alpes dans les assiettes.
Quelle importance accordez-vous à la durabilité dans votre philosophie culinaire?
L’idée de durabilité est fondamentale pour nous. C’est notre point de départ et le cœur de nos activités. Nous évitons toutefois de parler de durabilité. C’est un mot qui a trop souvent été dévoyé. Ce que je préfère dire, c’est que nous cherchons à vivre au plus près de la nature et de façon authentique, en apportant une contribution à la communauté. Cela signifie que nous ne travaillons pas seulement avec les gens, mais aussi en harmonie avec la nature. Pour moi, tout cela est lié à la durabilité, qui fait en sorte que notre planète reste habitable.
Y a-t-il eu ou y a-t-il encore des moments où vous doutez de votre parcours? Et comment gérez-vous cela?
Oui, il y en a. Il y a toujours des moments où l’on ne sait pas si on a pris la bonne décision. Cela dépend toujours un peu de la façon dont marchent les affaires. S’il n’y avait pas de demande, je commencerais à douter. Heureusement, nous n’avons pas ce problème. Notre gastronomie expérimentale fonctionne très bien.
Mon concept est toutefois inhabituel dans la région. Je me permets donc de demander régulièrement des avis et d’informer. Ce n’est pas le cas dans les zones urbaines, où les nouvelles idées et les nouvelles évolutions sont monnaie courante et rencontrent toujours un public réceptif. C’est pourquoi je me demande tous les jours si nous avons choisi le bon site et le bon concept. Et s’ils nous permettent de nous épanouir, les personnes qui travaillent avec moi et moi-même.
L’idée de durabilité est fondamentale pour nous. C’est notre point de départ et le cœur de nos activités.
Estimez-vous être libre de vos choix sur le plan financier?
Quand j’étais encore salariée, la liberté de choix me semblait réservée aux indépendants. Maintenant que je suis moi-même indépendante, je me rends compte que la réalité est bien plus complexe. Depuis que j’ai repris la ferme de mes parents, mes ressources financières sont assez modestes. Je conserve malgré tout une certaine liberté. Mais je pense que je suis encore loin d’être «libre» sur le plan financier. Peut-être que cela changera un jour.
«Ici, à la ferme biologique de Taratsch, les sensations gustatives donnent l’impression de créer des installations artistiques entièrement basées sur nos propres décisions. Il n’y a aucune règle à suivre. J’ai toujours rêvé de me créer cet espace de liberté.»
Rebecca Clopath
Vous êtes cuisinière et cheffe, mais aussi agricultrice bio et propriétaire d’une ferme. Quels sont les plus grands défis financiers auxquels vous faites face dans ce contexte?
Le plus grand défi financier est clairement la rémunération des collaboratrices et collaborateurs. Nos calculs doivent être justes. Quand les réservations vont bon train, tout va bien. Mais dès qu’un mois est moins faste, je commence à m’inquiéter. D’un côté, je souhaite verser à mes collaboratrices et collaborateurs un salaire qui leur permette de vivre correctement et décemment. Mais d’un autre côté, l’entreprise doit se maintenir à l’eau. Je dois toujours jongler.
Vous préoccupez-vous de votre prévoyance vieillesse?
Oui, je m’en préoccupe. Heureusement, j’ai deux piliers 3a depuis la vingtaine. Aujourd’hui encore, j’y cotise régulièrement dès que je peux mettre de côté. Je me suis mise à mon compte très tôt, et ce, dans un secteur où les bénéfices sont très faibles. Par conséquent, ma prévoyance vieillesse est sans doute davantage composée par ma maison et ma ferme. Cela me donne de la stabilité.
Vous offrez-vous parfois un peu de luxe?
Depuis environ deux ans, je m’accorde des congés. Je pense que c’est le luxe ultime: prendre un jour de repos et être injoignable. Il ne s’agit pas de faire des choses en particulier. Je peux tout simplement décider de ne rien faire. Pour moi, c’est en fait ce qu’il y a de plus beau.
Et dans quels domaines êtes-vous économe?
Dans ce que je considère comme du superflu. Avant de m’acheter de nouveaux pantalons, j’attends que les anciens aient des trous, par exemple. C’est la même chose pour les chaussures. En général, les semelles commencent déjà à fatiguer avant que j’en achète de nouvelles. J’essaie d’être la moins matérialiste possible dans la vie. Nous avons déjà bien assez de choses. Une structure alliant la gastronomie et l’agriculture a notamment déjà beaucoup à donner. C’est pourquoi je réfléchis toujours au moins à deux fois afin de savoir si j’ai vraiment besoin de quelque chose.
Quels conseils donneriez-vous à une version plus jeune de vous-même si vous en aviez la possibilité?
C’est une question amusante (rires). J’y ai répondu il y a peu en me disant que je me conseillerais d’oser choisir les cours de bricolage plutôt que ceux de couture à l’école (rires). Mais plus sérieusement, il y a très peu de choses que je ferais différemment si c’était à refaire.
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