D’abord une carrière internationale, ensuite une start-up: Kadri Vunder Fontana souhaite faire de la durabilité un modèle commercial responsable.

Vous avez étudié la biotechnologie et les technologies alimentaires, êtes titulaire d’un master en chimie analytique, d’un MBA et d’un doctorat, et avez mené une très belle carrière internationale – jusqu’à ce que vous décidiez il y a deux ans d’élaborer des produits en cuir durables à partir de peaux de cerf destinées à être jetées. Comment en êtes-vous arrivée là?
Je voulais apporter des solutions économiques aux problèmes sociaux et environnementaux. Depuis que j’ai des enfants, je m’intéresse dix fois plus à l’écologie, à la production alimentaire et à notre environnement. Ces sujets sont extrêmement importants pour leur avenir. Par l’intermédiaire de mon amie chasseuse Conny, j’ai appris que des milliers de peaux de cerfs étaient détruites chaque année. C’est pour cette raison que nous avons fondé Cervo Volante.

De nombreuses entreprises souhaitent allier durabilité et rentabilité. Quels sont les plus grands défis à relever pour y parvenir?
Il faut d’abord connaître toute l’empreinte écologique d’un produit. Cela englobe la production de tous les composants, les coûts énergétiques et la logistique complète. Il est difficile et coûteux de réduire cette empreinte.

Pourquoi les consommateurs devraient-ils dépenser plus pour la durabilité? Beaucoup de vos produits coûtent plusieurs centaines de francs, voire plus.
Parce que ce sont des pièces intemporelles de qualité, et donc des produits durables. Nous tannons par exemple notre cuir avec des matières végétales et non avec du chrome comme cela se fait habituellement. L’extraction du chrome détruit d’énormes quantités de terres, et le tannage chimique représente une immense charge environnementale. Notre tannage écologique dure deux à trois fois plus longtemps. Rares sont ceux à vouloir supporter ces coûts et travaux supplémentaires.

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Comment voyez-vous le marché des produits durables: est-ce une tendance appelée à se développer et à s’implanter largement, ou une niche destinée à le rester?
Cela ne restera pas une niche. Une évolution a eu lieu ces dernières années. Aujourd’hui, les conséquences économiques de la destruction environnementale se font plus souvent ressentir. Si ce n’est pas la nôtre, c’est la prochaine génération qui veillera à ce que les entreprises dépourvues de stratégie écologique ne puissent pas longtemps survivre.

Vous avez fondé Cervo Volante avec votre partenaire commerciale Conny Thiel-Egenter. Aujourd’hui, l’équipe de base est composée de cinq femmes et d’un homme. Cette composition est-elle une coïncidence ou un choix délibéré?
Une coïncidence. Mais il faut aussi des hommes pour assurer la diversité. Ils ont une autre façon de réfléchir que les femmes. Il faut donc une combinaison des deux.

La création d’une start-up représente un gros risque financier par rapport à un emploi fixe avec salaire, allocations pour enfants, etc. Comment vous êtes-vous préparée à cela et avez réglé la situation au sein de votre famille?
Au début, je travaillais le matin tôt, le soir et le week-end pour Cervo Volante. J’ai ensuite réduit mon taux d’occupation à 80%. Nous nous sommes bien préparés et avons consacré beaucoup de temps à la conduite de recherches en Suisse et à l’étranger, à l’élaboration de plans d’affaires, etc. Au cours des dix-huit derniers mois, je me suis pleinement concentrée sur Cervo Volante. Nous avons retiré les enfants des infrastructures de garde externe afin d’alléger notre charge financière. Je ne me verse enfin qu’un petit salaire.

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Les femmes ont besoin d’autres femmes dont elles peuvent suivre l’exemple.

En Suisse, l’épargne est certes une vertu, mais une majorité de femmes laissent leur compagnon gérer la planification financière. Comment gérez-vous la question des finances et de la prévoyance?
Nous nous en chargeons ensemble et remplissons toujours la déclaration d’impôts à tour de rôle. Nous prenons de nombreuses décisions en commun, notamment celle d’investir ou d’ouvrir un compte d’épargne pour les enfants. En revanche, j’ai toujours réglé ma prévoyance moi-même, entre autres via un 3e pilier ouvert alors que je vivais encore en Estonie.

Quelle importance accordez-vous à l’indépendance financière?
Il est très important pour moi de pouvoir suivre sa propre voie et décider par soi-même. Pour pouvoir façonner ma vie, il faut gagner suffisamment d’argent. Mais un salaire très élevé n’est pas forcément nécessaire.

Avez-vous un objectif d’épargne pour réaliser un rêve en particulier?
Mon objectif n’est en tout cas pas d’épargner (rires). Un jour, j’aimerais bien m’offrir un joli petit nid dans les montagnes suisses.

Que signifie réussir, pour vous?
Etre libre de ses choix. Pouvoir façonner sa vie comme bon nous semble.

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Les entreprises dépourvues de stratégie écologique ne pourront pas longtemps survivre.

Y êtes-vous parvenue?
A un petit niveau, avec Cervo Volante. Ce qui serait une grande réussite? Rendre ce modèle commercial évolutif et applicable à grande échelle. Et convaincre ainsi d’autres de la pertinence de cette façon de combiner l’écologie et la rentabilité.

Pourquoi la liberté de choix est-elle importante pour vous?
Dans tous les métiers, quels qu’ils soient, il est facile de se lever le matin quand on sait pourquoi. Quand il est correspond également à notre nature profonde, à nos convictions et à notre vision personnelle, ce métier devient comparable à un loisir. C’est pourquoi j’ai très longtemps discuté du «pourquoi» avec ma partenaire commerciale. Nous sommes toutes deux convaincues de vouloir contribuer à la préservation de notre environnement, en particulier pour nos enfants. Cela revêt beaucoup de sens pour nous, et nous procure donc une bonne dose d’épanouissement.

Que conseillez-vous aux femmes qui veulent mener leur vie en toute liberté de choix?
Les femmes ont besoin d’autres femmes dont elles peuvent suivre l’exemple. Elles doivent donc se chercher ces exemples. Et suivre un processus leur permettant de trouver du courage. Cela se construit pas à pas, y compris avec l’aide de l’extérieur, qu’il s’agisse de l’intervention de coachs, d’associations, de connaissances, ou autres. Tous les acteurs qui prennent au sérieux et qui encouragent.

Photo et Vidéo: Giorgia Müller
Texte: Simon Eppenberger

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Kadri Vunder Fontana est née en 1976 en Estonie, où elle a étudié la biotechnologie et les technologies alimentaires et terminé ses études par un master en chimie analytique. En 1999, elle arrive en Suisse, mène des recherches à l’EPF de Zurich dans le domaine de la chimie assistée par ordinateur et fonde une entreprise de biotechnologie. Au début des années 2000, elle décroche un master (MBA) en marketing aux Etats-Unis puis travaille en Suisse pour une entreprise internationale de produits chimiques et alimentaires. En 2007, elle retourne en Estonie, change de secteur et devient responsable dans la banque privée. Elle revient ensuite en Suisse, termine son doctorat en sciences économiques à la Haute Ecole de Saint-Gall en 2008 et travaille pour des sociétés de biotechnologie et de conseil. En 2017, elle fonde Cervo Volante avec une partenaire. Elle accompagne également la transition d’une banque en Estonie. Kadri Vunder Fontana est mère de deux enfants et vit avec son mari à Zurich.

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