Anne Challandes s’engage pour que les paysannes puissent mener une vie en toute liberté de choix. Elle dit que l’argent joue ici un rôle important: mais combien en faut-il pour que ce soit suffisant?

Jeune femme, vous avez décidé de travailler à la ferme et de renoncer à une carrière de juriste, et au confort financier qui allait avec. Est-ce une décision que vous avez déjà regrettée?
Non, jamais. C’était une décision prise en toute conscience à l’époque – et c’était surtout ma décision personnelle. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir renoncé à quoi que ce soit. Au contraire, c’est ma décision qui nous a permis, à moi et à ma famille, de vivre et de travailler comme nous l’entendions.

Qu’entendez-vous par là?
Il était important pour moi de permettre à nos enfants et à notre famille de vivre à la ferme. Cela n’était possible que si j’étais présente. Notre style de vie a toujours été en adéquation avec nos possibilités financières. Nous n’avons jamais eu d’envies de longues vacances ou de grands voyages. Nous avons toujours dû surveiller nos dépenses, mais je n’ai jamais eu l’impression de devoir faire des sacrifices, ni pour moi ni pour ma carrière.

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Mais votre situation financière aurait profité d’une carrière d’avocate.
Si l’on tient compte uniquement de l’argent, en effet. Nous avons toutefois eu le privilège de pouvoir organiser notre vie comme nous le voulions. Nous avons toujours vécu en toute liberté de choix, ce qui implique aussi une certaine sécurité financière. J’ai pris conscience que le travail non rémunéré n’était pas valorisé au sein de la société. Parfois, il me semble que l’argent est la seule façon d’acter la reconnaissance du travail. Combien de fois ai-je entendu dire: «Tu as de la chance de ne pas travailler.» C’est bien évidemment faux. Elever quatre enfants et diriger une exploitation agricole avec mon mari n’était pas une mince affaire. Au début, je n’avais tout simplement aucun salaire.

C’est le cas de beaucoup de femmes dans les fermes.
C’est exact. C’est pourquoi je tiens beaucoup à la liberté de choix des paysannes et femmes rurales. Il y a une réalité qui illustre la nécessité de mon engagement: en Suisse, la majorité des femmes des exploitations agricoles y travaillent gratuitement. Et sans salaire, il n’y aucune sécurité sociale.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement?
Ces femmes sont un pilier important de l’exploitation. Leur travail est essentiel. S’il n’est pas rémunéré, ces femmes se retrouvent sans ressources en cas de séparation ou de divorce. Cela signifie aussi que leur sécurité et leur prévoyance dépendent entièrement de leur mari. C’est un problème pour les femmes et pour toute la famille. Car sans salaire, les femmes ne bénéficient par exemple pas non plus d’assurance maternité.

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Anne Challandes, 54 ans, est présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales et vice-présidente de l’Union suisse des paysans. Cette avocate de formation gère avec son mari et leur fils aîné une ferme biologique à Fontainemelon (NE). Depuis que ses enfants sont grands, elle s’engage en faveur des agricultrices. L’indépendance financière est un élément clé à cet égard.

Comment comptez-vous remédier à cette situation?
Il y a deux niveaux d’action. D’une part, nous devons sensibiliser les femmes et les rendre attentives à leurs droits. D’autre part, nous devons parler aux familles: la protection de la femme relève également de la responsabilité et de l’intérêt du conjoint. Je sais que ce n’est pas très romantique, mais un couple doit aussi traiter les questions désagréables.

Lesquelles?
Que se passerait-il en cas de décès? D’invalidité? Comment régler la séparation ou le divorce? Comment organiser sa retraite?

En tant qu’avocate, vous connaissez les aspects plus sombres de la vie. Vous êtes-vous suffisamment couverte à l’époque?
En tant que juriste, je connaissais les risques d’un mariage, c’est vrai. Nous nous sommes mariés, nous étions très amoureux et n’avons rien réglé. Du moins officiellement. Nous avons parlé de tout. Et au début, je ne travaillais pas à la ferme, mais en tant que juriste. Nous avons toujours soigneusement organisé notre prévoyance et couvert les éventuels risques. Plus tard, j’ai eu un salaire.


Quand vous avez eu des enfants, vous avez cessé cette activité et êtes restée à la maison…
Disons que quand on est jeune, on n’a pas toujours conscience des risques. Ou on ne veut pas les voir. J’ai une bonne formation et cela m’a donné une certaine sécurité: je savais que si quelque chose se passait mal, je trouverais un travail et je pourrais m’assumer.

N’auriez-vous jamais souhaité avoir plus d’argent?
Non. Chez nous, nous n’étions jamais à découvert le 15 ou le 20 du mois. Nous avons toujours pu payer nos factures et mettre un peu d’argent de côté. Cela n’est pas une évidence pour tout le monde. Mais bien sûr, nous avons aussi imaginé ce que nous pourrions faire en gagnant un million au loto: comment nous investirions dans notre entreprise, quelle machine nous achèterions et quel luxe nous pourrions nous permettre. Mais finalement, nous n’avons jamais joué au loto.

Quelle importance revêt l’argent pour vous?
Il est important d’en avoir assez pour vivre. Mais je ne me définis pas par l’argent. Depuis que nos enfants sont grands, j’ai accepté diverses fonctions. Ces rémunérations supplémentaires sont en grande partie affectées à notre prévoyance vieillesse.

Pas de dépenses déraisonnables?
Bien sûr, je m’accorde un petit plaisir de temps à autre. Un cadeau, des fleurs, un repas au restaurant, une excursion, une attention pour faire plaisir à un proche.

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Anne Challandes a suivi sa propre voie. Et vous, vivez-vous selon vos proches choix?

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